Création de la charte des Vins Méthode Nature
Par Alexandre Abellan, Vitisphère
Définir et encadrer les vins nature : la démarche ne se fait pas sans difficultés, mais elle espère bien lever rapidement toute ambigüité. « La volonté qui nous motive, c’est que quand le consommateur débouche un flacon de vin nature, il y trouve effectivement un vin nature » pose Jacques Carroget, le président du syndicat de défense des vins Nature’l*, réuni en assemblée général ce 3 février 2020 pendant le salon des vins de Loire (Angers).
Lancé en septembre 2019, ce projet d’encadrer la mention vin nature a fait florès. Tout juste né, ce syndicat a pu peaufiner son projet avec les services du ministère de l’Agriculture, de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) et de la Répression des Fraudes. Ces derniers ayant soufflé un nom compatible avec la réglementation européenne en vigueur : « vin méthode nature » (le terme vin nature étant illicite). Un terme décliné sous deux logos « vin méthode nature » : le premier sous-titré « sans sulfites ajoutés » (pour des concentrations de sulfites inférieures à 10 mg/l) et le deuxième « inférieur à 30 mg/l de sulfites ajoutés ».
Pour afficher ces signes distinctifs sur son étiquette, une cuvée engagée par un vigneron ou négociant vinificateur doit respecter la charte du syndicat**. Repris en intégralité ci-dessous (voir encadré), ce texte demande à chaque cuvée engagée dans la méthode pour un vin nature de provenir d’une propriété engagée en agriculture biologique (certification bio, ou deuxième année de conversion bio, ou charte privée Nature et Progrès), de parcelles vendangées manuellement (pour impliquer la main de l’homme), de moûts sans intrants ni filtration ou levurage (recours aux levures indigènes), de cuves non sulfitées lors des fermentations (mais avec une possibilité d’ajout de SO2 inférieur à 30 mg/l avant la mise)…
Se basant sur un engagement sur l’honneur, ces exigences s’appuient sur un engagement officiel au moment de la déclaration de récolte du millésime (avant le dix décembre), une analyse des sulfites en bouteille (protocole Cofrac Frantz Paul) et des contrôles aléatoires annuels par un organisme certificateur (1 % des adhérents, sur analyses de traçabilité et de cuvées). « Notre démarche, c’est définir un vin naturel sans limiter les degrés de liberté des vignerons » souligne Gilles Azzoni, le secrétaire-adjoint du syndicat Nature’l. Même si le vigneron ariégeois reconnaît qu’« en pratique, il nous sera impossible de contrôler qu’il n’y a pas eu ajout de sulfites à l’encuvage ou qu’il n’y a pas eu de levurage. Mais l’engagement sur l’honneur est une immense responsabilité, qui a du sens. A chacun sa conscience »
Dévoilée, la charte n’a pas manqué de faire réagir les participants massés dans une petite salle du parc des expositions d’Angers. Qu’il s’agisse du recours au référentiel privé Nature et Progrès ou de l’indication d’ajout de sulfites si le SO2 est issu de l’activité levurienne, ou de la possibilité même d’ajouter des sulfites... Mais la rengaine qui est la plus revenue concerne le risque de récupération de cette définition à l’échelle de cuvées par de gros opérateurs, type négoces et caves coopératifs.
Un débat dépassé pour le blogueur-militant Antonin Iommi-Amunategui, membre fondateur du syndicat, qui dénonce des détournements déjà massifs de la terminologie et de l’univers des vins nature. « Il faut toucher le grand public qui est dans le flou depuis des années. Il y a actuellement une vraie arnaque dans les rayons de la grande distribution » tonne Antonin Iommi-Amunategui, s’emportant à l’évocation des cuvées flash-pasteurisés de Gérard Bertrand.
« Notre syndicat a la volonté d’être neutre. Nous ne nous engageons pas pour un modèle de viticulture ou un autre » ajoute Jacques Carroget. Recensant actuellement 65 cuvées engagées pour 168 membres (dont 44 vignerons français, italiens et espagnols), le président du syndicat vise 1 000 adhérents dans trois ans (dont 500 vignerons). Jacques Carroget se projette surtout sur la présentation de ce cahier des charges ce 21 février aux Fraudes. Son ambition étant d’intégrer à terme cette démarche dans la réglementation : « aujourd’hui la charte est privée, l’objectif est qu’elle devienne réglementaire dans cinq ans ».
Une ambition de régulation qui ne se fait pas sans un certain idéal. « D’autres associations se sont étouffées par peur et paranoïa d’être détournées. Là, on s’ouvre. C’est un risque d’appel d’air, comme il y a beaucoup de demande et peu d’offre » conclut Gilles Azzoni. Espérant ouvrir un nouvel espace à de jeunes vignerons, il se prépare à des débats animés pour maintenir l'équilibre entre accéssibilité de la charte (la possibilité de sulfitage étant rhédibitoire pour certains) et sélectivité de la démarche (des débats s'annoncent sur les machines à vendanger, les filtrations...).
* : La première assemblée générale du syndicat s’est tenue en septembre 2019, avec six membres (les vignerons Jacques Carroget, Gilles Azzoni et Sébastien David, ainsi que l’anthropologue Christelle Pineau, le journaliste Antonin Iommi-Amunategui, l’avocat Eric Morain).
** : A noter qu’une cuvée engagée dans la méthode vin nature ne peut plus produire que des vins en respectant le cahier des charges, afin de ne pas risquer de tromper le consommateur.
1. 100 % des raisins (de toutes origines : AOP, Vin de France, etc.) destinés à un vin qui se revendique « vin méthode nature » se doivent d’être issus d’une agriculture biologique engagée et certifiée (Nature et Progrès, AB, ou deuxième année conversion AB a minima).
2. Les vendanges sont manuelles.
3. Les vins sont vinifiés uniquement avec des levures indigènes.
4. Aucun intrant n’est ajouté.
5. Aucune action de modification volontaire de la constitution du raisin n’est autorisée.
6. Aucun recours aux techniques physiques brutales et traumatisantes (osmose inverse, filtrations, filtration tangentielle, flash pasteurisation, thermovinification…) n’est permis.
7. Aucun sulfite n’est ajouté avant et lors des fermentations. Possibilité d’ajustement, de l’ordre de - SO2 < 30 mg/l H2SO4 total, quels que soient le type et la couleur du vin - avant la mise ; obligation d’information d’adjonction de sulfites mentionnée sur l’étiquette via un logo dédié.
8. Lors d’un « salon des vins méthode nature », les vignerons comme les organisateurs s’engagent à présenter la charte à côté des bouteilles ; les cavistes indépendants sont encouragés à faire de même, dans la mesure du possible, au sein de leur établissement.
9. Utilisation d’un logo d’identification.
10. L’engagement se fera lors de la mise « commercialisation » (obligation de résultat) par une « déclaration sur l’honneur », faisant suite à l’avis du bureau de l’association ; il sera demandé chaque année pour chaque cuvée (lot clairement identifié).
11. Les cuvées non « vins méthode vin nature » doivent être clairement identifiables (étiquetage différencié) chez les signataires.
12. Les signataires s’engageront en leur nom propre et toutes les informations demandées seront mises en ligne.